Le sanglier qui fume
Tirage Argentique
L’architecture est un objet d’art, d’une part par son esthétisme singulier, d’autre part par sa personnalité, son caractère émotionnel et son vécu.
La photographie architecturale est ainsi le mariage de deux arts complexes, si intéressant du fait qu’elle prend le sujet d’architecture avec son histoire, de manière brute et sobre, instantanée et véritable, sous un angle original, pour révéler une anecdote passionnante et rend le sujet inanimé humain.
La série qui suit fait partie du projet «Lieux abandonnés» d’urbex, partant à la découverte du Sanglier qui fume, un ancien hôtel situé à 65 km de Marrakech. Le temps là-bas s’est arrêté, pour ne laisser régner que la nature qui reprend ses droits, sur l’ensemble de la vaste propriété, autrefois lieu de rencontre et d’hospitalité. La lumière du jour prend plaisir à éclairer encore ces grandes salles de réception et ces chambres aux salles de bain spacieuses, et à remplir si bien que mal cette piscine grande et profonde, asséchée depuis sûrement de nombreuses années. Le sentiment de reminiscence est omniprésent, avec aussi, une légère tristesse d’observer que l’homme a pu profiter de l’abandon du lieu pour amasser ce qu’il pouvait, des portes, des fenêtres, des câbles, de la robinetterie aux vasques… Seuls demeurent des papiers, par centaines, jonchant le sol comme après une tempête, et des vêtements et couvertures dans des recoins cachés, certainement ceux de vagabonds, trop pressés pour ramasser leurs maigres possessions avant de reprendre leur cavale.
Les tirages argentiques révèlent une toute autre ambiance, celle d’un lieu abandonné et pillé. Le rapport ombre/lumière et clair/obscur traduit la cohabitation déstabilisante de la vie et de la mort, du passé et du présent, du vécu et du rêve. Des souvenirs dont ces murs se souviennent encore mais que personne ne pourra plus entendre conter, et pour l’heure, les récits que nous pourrions observer sont les plus récents, ceux d’hommes qui ont osé arracher le peu de vie qu’il restait… un lieu si vivant qui dort, tremblant sur ces fondations dont les pièces n’ont plus que leur charme dans nos lointains souvenirs, ou ceux de nos parents.»
Esther Manceri